[Bazas] [Baptème ]Maya Orselli et Cagou59

Le clocher de la cathédrale de Bazas pointe au-dessus de l’horizon, très loin là-bas vers l’ouest.
Sur le chemin défoncé qui vient de Marmande, une charrette bâchée tirée par un cheval à robe pommelée avance en cahotant.
La charrette est banale, si ce n’est que sa bâche est retournée. Les coutures sont apparentes et l’on devine un piqueté en forme d’écusson sur les flancs. Bizarre tout de même de vouloir cacher une Armoirie, la seule chose que l’on couse sur les bâches.
Et encore, il s’agit d’une pratique des municipalités, uniquement pour les véhicules de la Mairie confiés aux ambulants …

Le chemin bifurque à peu près quinze perches plus avant.
Au-delà, une masse sombre gît au sol, à plusieurs pas en direction d’un taillis, survolée d’un nuage de corbeaux criaillants.
isaline, attirée par curiosité, arrête son équipage, saute à terre et se précipite vers … oui, vers la forme humaine étendue dans la boue, entièrement dissimulée sous une cape bleu gris, très sombre. Elle soulève lentement un coin du vêtement, ne peut retenir une grimace de dégoût, sent son estomac se retourner. Le faciès du malheureux est bleuté, les yeux sans vie révulsés dans leurs orbites, la peau et la chair rigides en lambeaux.
Elle reconnaît ... « Ah Misère Divine, le pauvre …J’espère que … ».
Elle veut en être sûre et découvre entièrement le corps, voit une main à laquelle manquent trois doigts, encore cette chair en lambeaux.
« Un lépreux ! Qu’Aristote ait pitié de son âme. Sainte Mère de notre Seigneur ... je ne puis rien pour lui. »

Elle se recueille un moment, s’en retourne vers son chariot, hésite, s’arrête et regarde par-dessus son épaule.
« Cette cape après tout, il n’en a plus besoin … »
Elle n’a pas conscience de commettre un vol, ramasse l’objet en pensant à la lèpre.
« Oh ! … Les miasmes ont sûrement disparu eux aussi. Je ne risque rien. »
Pour faire bonne mesure elle emporte également la crécelle du mort tombée de sa main à quelques pas de lui.


Cela faisait un long moment déjà que les cloches avaient sonné à toute volée.
Ayant confié cheval et véhicule au ferronnier qui tenait son échoppe près de l’entrée de Bazas elle lui demanda de vérifier les sabots de Caracole.
isaline marchait d’un bon pas, courait presque vers la cathédrale, s’arrêta soudain, prise d’une quinte de toux. Elle se racla la gorge et cracha une vilaine petite chose verdâtre, continua sa route la respiration sifflante, aspirant à grandes goulées l’air froid de l’hiver. Plusieurs jours déjà qu’elle était prise de la gorge par cette saleté …
Elle ne pensait qu’à lui.
Elle serait bientôt rendue, s’approcherait de lui, le toucherait peut-être.
« Cagou ! »

Pas question d’esclandre. Elle se l’était jurée.
Elle venait à l’invitation de Cagou assister à son baptême.
Il savait que l’événement lui serait probablement pénible à cause de l’amour qu’elle lui portait, l’avait invitée par respect de leur amitié scellée un jour au bord du Rhône.
Il comprendrait si elle ne venait pas, lui avait-il écrit, qu’elle n’ait pas la force d’être présente.
Elle avait décidé le contraire « pour notre amitié ». Mais elle tenait surtout à le voir.
Elle eut une nouvelle quinte de toux en arrivant au bas des escaliers, à tel point qu’il lui fallu s’appuyer quelques instants contre une roulotte de saltimbanques arrêtée là.

Tandis qu’elle reprenait son souffle, courbée vers le sol et la tête agitée de vertiges, quelqu’un passa – pressé – montant vers l’entrée de la cathédrale.
Elle se redressa juste à temps pour apercevoir une silhouette pénétrant dans le bâtiment.
« Non !!! … Non … pas elle. »
Mais elle ne pouvait s’y tromper, elle avait reconnu Sucette au Nutella.

Son esprit quitta le moment présent, plongea dans un passé chargé d’émotions, de bonheurs et de plaisirs.
Elle revit la Croustillette les matins de descente de garde ; la bonne odeur des brioches à peine sorties du four, sa première mission de marchande et ses peurs qu’elle avait calmée ; ses chapardages à l’Arlésienne (dans la réserve) qu’elle se promettait à chaque fois de rembourser plus tard ; toute la douceur, le respect, les soins que Sucette lui avait prodigué alors même qu’elle venait de se battre avec Miss et avait démoli une bonne part de sa boulangerie …
Elle prit peur. Si Sucette était là, Reiner n’était pas loin.
De lui elle devait absolument se cacher. Sa vie était en jeu.
Que faire ?



« Le lépreux !! Merci mon ange … »
L’idée lui était venue en un éclair. Elle remerciait son ange gardien, sûre qu’il avait tout préparé pour elle auparavant et qu’elle avait agit comme il fallait pour recevoir son aide.
Elle s’en retourna chez le ferronnier, prétextant un oubli, puis reparti vers la cathédrale engoncée dans une cape significative, la crécelle à la main.

Au-dessus des marches, une fillette assise en tailleur jouait de la flûte.
Elle remarqua son mouvement de recul et l’hésitation de sa mélodie lorsqu’elle passa près d'elle. Son déguisement faisait de l’effet.
Se glissant par la porte entrouverte, elle entra dans la cathédrale et les vit tous les cinq avancer vers le baptistère, le prêtre devant, suivi de Cagou et Maya, ensuite de Sucette et d’un homme qu’elle n’avait jamais vu.
Elle avait mal au cœur. C’était horrible. Tout se mélangeait. Elle se sentait défaillir, la tête lui tournait.
Elle avait envie de se précipiter dans ses bras, de crier « Cagou, je t’aime ».
En même temps, la menace pesait sur ses épaules. La peur affreuse d’être emprisonnée, condamnée. La certitude que d’un seul mouvement du doigt Reiner l’empêcherait de vivre sa vie.
Plutôt mourir …
Sa gorge la chatouilla. Elle sentit venir une nouvelle tousserie, préféra la faire exploser au dehors, ressortit.
Devant la flûtiste, elle graillonna, expectora, cracha, s’accroupit enfin et appuyée le dos au mur, la crécelle à la main sous la cape, laissa ses larmes couler sans retenue.

Sur le parvis de la cathédrale, Solva s'arrêta net de jouer en voyant la pauvre silhouette s'écrouler devant elle. La voix était féminine et l'esprit de la dame ne semblait pas tourner bien rond... (A tous les coups, elle la prenait pour un homme.. pire, encore, un adulte ! )

Solva se leva et se pencha, pleine d'attention, vers la malade. Maman Taka lui avait appris bien des choses, elle savait donc que la crécelle signifiait un lépreux, et qu'il n'y avait rien à craindre. Il fallait juste ne pas trop toucher.
Elle s'accroupit vers le capuchon de la cape et le souleva.

- Ca va Madame ?

La dame marmonna quelque chose de vraiment pas net. Elle pleurait et parlait de brioches, de sucettes, de reinettes, elle disait aimer les cagouilles... Elle semblait avoir faim. Solva était la mieux placée pour comprendre cela.

- Bouge pas madame, ma maman va te soigner, elle est dans l'église.

Solva courut vers la lourde porte et la poussa doucement, pour ne pas faire de bruit. Elle vint s'aggripper à un pan de la cape blanche de Taka et lui souffla à l'oreille.

- Dehors ya une dame qu'a la lèpre et qu'a très faim. Elle veut une fricassée d'escargots avec des cuisses de grenouilles, et des sucettes avec de la brioche. Et elle a très mal, parce qu'elle pleure.

Taka eut bien besoin de trente secondes pour essayer de mettre en ordres tout ce que lui dit sa fille adoptive. Mais bon, le mieux était de constater de visu. Elle se leva discrètement, la main sur sa besace, et elle suivit la petite vers la sortie.
Dehors, effectivement, la silhouette qu'elle avait vu entrer dans l'église puis ressortir était assise par terre, et ne semblait pas aller très bien. Sa toux, en tout cas, était inquiétante.
Elle s'approcha d'elle et fit un rapide diagnostic : la lépreuse n'avait pas du tout la lèpre, et elle ne semblait être aussi affamée que le prétendait Solva.
Elle farfouilla dans sa besace à la recherche de quelque chose pour calmer la toux. Elle tenta de communiquer:

- Ne vous inquiétez pas, je vais vous arranger ça. Vous avez prit bien froid. Qui êtes vous?
Venez, je vous amène au chaud, dans la taverne en face. Vous prendrez une décoction miracle, je vous le garantis. Mes amis nous y rejoindront à leur sortie.

Alors qu'elle amenait la malade, elle fit signe à Solva de la remplacer, à l'intérieur, pour les prévenir qu'elle n'était pas loin, quand ils sortiront.
Puis, elle entrèrent au chaud.

Elenano, satisfait de la réponse de Reb et de Su, sourit. Il fit alors signes aux deux baptisés de s'agenouiller devant lui.

Se retournant, il prit, dans le grand bol, un peu d'eau et en versa sur la nuque de Cagou



Il reprit les mêmes gestes et le même discours pour Maya, les faisant tous deux fidèles de la communauté aristotélicienne, unie et indivisible. Il essuya discrètement l'excédant d'eau sur sa robe et fit signe à l'enfant de coeur Calvin de lui apporter les objets donnés traditionnellement aux baptisés.
Calvin s'approcha du curé et lui tendit 3 médaillons et 3 cierges

Tour à tous, chacun reçut ce qu'y leur revenait, accompagné d'une requête

Mon enfant! Prend ce cierge. Par lui, Dieu et l'ensemble de la communauté des fidèles te demande de répandre la foi partout où tu passeras. Puisses-tu faire rayonner la Vertu et l'Amour.



Prend ce médaillon, symbole de la parole d'Aristote, porte-le désormais fièrement sur toi.



Leur souriant et ouvrant les bras devant l'assemblée réunie

Maya! Cagou! Vous êtes aujourd'hui accueillis parmi les enfants de Dieu! Vous êtes baptisés et puissiez-vous faire honneur à votre statut de fidèles: répandez la foi, tendez la main au pauvre, communiez chaque dimanche à l'église et aimez!

Le père serra vivement la main des deux baptisés puis, tous ensemble, redescendirent parmi les fidèles

Reb était satisfait de toute la cérémonie, ni trop longue ni trop courte. Juste ce qu'il fallait pour qu'il puisse trouver en lui, un peu de dignité d'âme. Il n'avait rien contre l'église, si l'église ne venait point à lui. Le travers de Maya est louable car ces deux là s'aiment. Maya semblait en de bonnes mains. Selon Reb, Cagou est un homme jovial, qui sait trouver amitié par de simples gestes et de politesses. Sa répartie faisant aussi de lui un homme savoureux, Reb en était tout joyeux.

Ele semblait silencieuse, alors que Taka mit fin à la cérémonie, quand un lépreux entra dans l'église.

Murmurant à Ele

-Diantre, Taka aurait-elle le don de guérir des écrouelles? Serait-elle thaumaturge?...Héhé cette sor...enfin..heu, encore des potions en perspective...J'en ai peur! Faudra faire attention à la roulotte!

Alors que Reb finissait, le curé versa son eau bénédite, faisant de Cagou et Maya, deux nouvelles ouailles pour les comptes du clergé. Reb serra la main du curé et lui remit discrètement un tonnelet de vin blanc tout en lui murmurant.

-Pour votre messe mon père...

Se tournant vers Maya et Cagou:

Mes enfants, je vous félicite...Allons donc retrouver toute la famille et fêter cela!

Après Cagou , ce fut au tour de Maya de recevoir les eaux du Baptème ... l'eau n'était pas froide .. mais glacée ... Le père Elenano leur tendit ensuite à chacun un cierge et une medaille signe de leur Baptème ... Maya croisa le regard de Cagou .. émue ... Elle sourit au félicitations de Reb et se retint de rire lorsqu'il donna au curé un petit tonnelet de vin ... mais elle reprit bien vite son serieux en voyant Ele si pâle ...

Oui mes amis allons fêter cela .... un petit buffet attend à la maison ceux qui le souhaitent ... Su vous serez la bienvenue ... ce sera pour moi l'occasion de faire votre connaissance ... et puis vous devez être fatiguée du voyage ... Arles ce n'est pas la porte à côté ...

Se tournant vers Cagou ...

Mon ange ... tu voudras bien essayer de trouver Taka pour l'inviter elle aussi ?

elle lui sourit ... puis s'adressa au père Elenano ...

Merci mon père pour cette belle ceremonie ... vous êtes le bienvenu vous aussi ...

(pour le buffet .... pour ceux qui ont le temps .... [Ici] )

-Voilà.... ça y est.... nous sommes baptisés !

Cagou remercia le père Elenano pour cette belle céremonie et pour sa disponibilité, et se joignit à Maya pour l'inviter à passer chez eux pour le verre de l'amitié.

Il sourit en entendant Su ravie de les suivre avant de prendre la route, ils allaient pouvoir lui montrer leur petite chaumière.

Il vit la petite Salva qui attendait que la cérémonie se termine, et alla s'enquérir de ce que faisait Taka.

Comme la petite lui appris qu'elle avait accompagné une personne qui avait faim à la taverne en face, il lui demanda d'aller la prévenir que tout le monde allait maintenant chez eux au numéro 2 tout proche, juste à l'angle de la rue, et qu'ils l'y attendaient, puis rejoint la petite troupe qui sortait de la cathédrale, tout ému d'être désormais un fidèle.

Le capuchon de sa cape s’était soulevé, laissant apparaître le visage poupin de la jeune flûtiste qui lui demanda, sincèrement inquiète :

-Ca va Madame ?

Une enfant !!!
Et elle … quasi à nu dans sa douleur … Elle aurait préféré disparaître sous terre !
Elle avait mal dans son corps et dans sa tête.
Ses pleurs n’arrangeaient rien. Les larmes, se mêlant aux déjections issues de sa gorge enflammée lui bouchaient les narines, l’empêchaient de respirer. Elle hoqueta, renifla, aspira mélangés les liquides et les glaires qui refluèrent dans sa bouche.

-Bouge pas madame, ma maman va …

Elle n’entendit pas le reste. L’enfant s’était détournée et courait vers l’église.
Une nouvelle quinte de toux la saisit, la faisant plier vers le sol, les poumons en feu.
Elle se détourna et cracha une petite masse gluante.

- Ne vous inquiétez pas, je vais vous arranger ça. Vous avez prit bien froid. Qui êtes vous? …

Une voix féminine s'adressait à elle, lui parlait calmement tout en la soulevant d’une main ferme.
Elle marmonna « Non » … « Oui » … sentit un chatouillement naître quelque part au fond de sa bouche, déglutit péniblement …
-isal … isaline … hhhhhh … je suis nommée … hhhhh … is … hhhhh line Ardais … hhhhh …
Elle était sans force et se laissa emporter.
La femme avait passé un bras d’isaline autour de son cou, la tenait serrée contre elle, lui parlait de décoction et de l’emmener au chaud.
En même temps, elle la traînait vers le bas des escaliers du parvis.
Collées l'une à l'autre elles contournèrent la roulotte des saltimbanques, firent encore une vingtaine de pas, puis une porte s’ouvrit devant elle, laissant échapper une bouffée de chaleur mêlant l’arôme du tabac, une odeur de bière persistante et les effluves prenantes du bois de chêne se consumant dans l’âtre, le fumet d’un gibier en cours de préparation dans la cuisine.
« Au chaud ! » songea-t-elle en s’affalant sur un banc près de la cheminée.

isaline dodelina de la tête, paupières papillonnantes, leva les yeux vers celle qui venait de lui porter assistance et se tenait debout devant elle, lui demanda :
-Et vous ?
Sa question était « Et vous, qui êtes-vous ? » mais son corps épuisé n’obéissait plus comme il eut fallu. Elle poussa un long soupir suivi d’un râle peu rassurant, toussa de nouveau.